Taking picture of you :

« Elle veut quoi d'autre la Katagena ? » Sa bouche forme un rictus alors qu'un grognement sort de sa gorge « Rhum-coca et écorche pas mon prénom, Barmaid » Il hausse les épaules, l'air de s'en foutre royalement de ses dires et retourne à son bar tandis qu'elle quitte le comptoir d'une démarche pas tout à fait clean qui ferait rire le mot à jeun. L'homme, intrigué, se penche vers le comptoir et interpelle le barmaid « Hey toi ! Tu connais la blonde ? » « Si je la connais ? Elle me vide mon stock de rhum dès qu'elle débarque son p'tit minois ici ! Un vrai trou sans fond ! Quoi ? Tu veux des infos ? C'pas gratos, t'sais ... » Adjugé. Vendu. L'homme glisse un billet et le barmaid délit la langue « Katarzyna, c'est une sacré bestiole. Si t'as envie de te péter les dents, fonce. Faut avoir une tendance au masochisme pour traîner avec elle » « Vieil homme, je ne t'ai pas donné un billet pour avoir ton avis, je veux en avoir pour mon fric » Le barmaid balance son torchon sur son épaule « Ok, minus. Ok. Katarzyna, c'une dure à cuire, bien gaulée et tout mais mec au fond, elle cause mec, agit mec, pense mec, un sacré personnage. Elle agit toujours plus vite que la musique, faut bien être attaché quand on veut la suivre. C'pas le genre minette et tralalalala-tsoin-tsoin. Elle, c'est tu bouffes ou sinon tu te fais bouffer et généralement, elle sort les crocs en premier. J'crois que sa stratégie c'est que l'attaque est la meilleure défense. Si tu veux un vrai conseil : Parle bagnole avec elle. Y'a rien qui la passionne le plus. Lui sort pas le baratin romantico-merdique, elle fait pas dans la dentelle du sentimental, t'me suis ? Tu vas te faire jerter illico-presto, mon petit gars et pas en douceur, j'peux te le dire. Elle cogne la minette, on dirait pas hein ? Mais ça cogne dur. Elle a pas froid aux yeux et pourtant, moi j'dis, qu'elle devrait vu les zones où elle traîne, c'craignos mais fière & susceptible comme tout, elle n'écoute personne et fonce tête baissée. Ouais, assez impulsive, ce genre de nana, c'craint, moi, j'te dis. Surtout elle. T'sais, t'as Elisabeth, là-bas, moins farouche, plus tranquille, avec elle, ç'marcherait le baratin d'amoureux transi, pourquoi tu t'embête avec la petite Katagena ? » « T'occupe le vieux et dis m'en plus » Le vieux, il fait signe que s'il veut d'autre info, vaut allonger l'fric, chose que l'homme fait immédiatement « Elle fait quoi dans la vie ? » « Elle vend des pièces détachées de bagnole en somme. Je connais pas toute les lignes de son job, elle est pas très loquasse comme nana quand elle veut mais, à mon avis, elle tremperait dans des affaires louches. Bref, en tout cas, je sais, je sais qu'elle rêve de mettre la main sur une voiture de collection et de la retaper. » « Ok. Et elle aime faire quoi de son temps libre ? » « Tu m'en poses des colles, j'suis pas devin non plus. Petit, m'regarde pas comme ça … Bref tout ce que j'sais c'est que la petite Katagena, elle aime pas rester sans rien faire, une vraie pile électrique sur place. Si elle est pas entrain de bosser sur une voiture, elle traîne dans les parages à faire je ne sais quoi. Oh ! Petit, un conseil : ne la surprend jamais. Elle déteste les surprises. Une fois, t'sais, y'a un gars, pas méchant l'petit, il a voulu lui faire un sale coup pour plaisanter, t'sais. Il la surprise dans une ruelle malfamée, bah sa connerie l'a envoyé à l'hosto. Elle se balade toujours avec une clé à molette quelque part. Ah ça non, la petite, elle aime pas quand un homme tente d'avoir l'dessus sur elle, elle devient l'démon en personne. Conseil d'ami si t'veux pas faire un séjour à l'hosto ! T'as qu'à lui payer un verre de rhum-coca, elle aime bien ça. Puis t'as qu'à traîné au squat, elle l'a quitté depuis belle lurette mais elle y revient toujours. Bon, c'pas que mais moi j'dois retourner bosser, j'ai d'autres clients. Oh, la revoilà ! Bonne chance, petit ! T'as peut-être une chance, après tout, elle aime bien les bruns mais attend toi à ce qu'elle t'jerte ! Avec elle, c'comme les mouchoirs, une fois usagés, elle balance » « Balancer quoi, barmaid ? » « Rien, Katagena » « Katarzyna, vieux sénile ! J'vais te rentrer mon prénom dans le crâne à coup de marteau, tu risques pas de l'oublier » Le vieux se penche vers l'homme « T'vois, j'te l'avais dit : un phénomène la Katagena » « Vieux fossile, mon rhum-coca, j'attends ! Tu rouilles sur place ou quoi ? » Le vieux lève les yeux au ciel.

The pursuit of happiness :

Dégaine d'allumée, dégaine de rien du tout. Trempée jusqu'à l'os, le visage tuméfié, le regard absent, le gouffre ouvert à mes pieds. Je suis entre deux eaux. Même une salade a plus de classe, c'est pour dire. Mes jambes chancellent et BIM, le sol qui se rapproche. Un filet de sang se mêle aux flaques d'eau alors que les gouttes ruissellent sur mon visage, le nettoyant en passage. Je fais même peur aux clébard du coin et pourtant, ils en ont vu des choses horribles. « Dabrowski ? » Je lève même pas la tête, façon, le corps veut pas suivre « Hey ! Ca va ? Qu'est ce qui s'est passé ? » L'envie noir du sarcasme me prend, j'ai envie de répondre que j'ai eu envie comme ça de me jeter sous un camion pour savoir l'effet rien que pour le fun mais la réplique cinglante, elle reste coincée dans ma gorge sèche. Envie de crever ouais. Il dit plus rien, merci, vacance et il me relève pour m'ausculter. Le petit dealer du squat se prend pour un doc' ce soir. Bien ma veine. Puis tout s'enchaîne un peu rapidement, trop rapidement pour que je m'en souvienne exactement. L'hosto, le poste de police, la déposition et tout le merdier qui va avec pour quoi ? De la merde. Si la justice a bien un défaut, c'est qu'elle ne protège pas les sans-maisons. T'as rien alors imagine pas pouvoir bénéficier d'une protection, c'est réservé aux capitalistes, ceux qui rapporte de l'argent. Ceux qui rampe sur le sol pour survivre, ils ont droit à rien, NADA. De la compassion ou de la pitié à la rigueur mais pour le reste, brosse toi ! Et pas dans le sens du poil. Dans l'obscurité de la nuit, je m'assois sur la pierre tombale, seul vestige d'une famille décomposée maintenant. J'allume une clope et j'inhale l'épaisse fumée. Ca fait des années maintenant mais je me souviens de cette nuit. Je me souviens bien de leur pas crasseux, leurs poings durs comme de la glace, leurs rires gras, leurs mains pestiférées sur moi. Quand on s'ennuie en Russie, on va taper dans les donzelles qui vivent ou tente de vivre une vie bien réglo. Je servais les ivrognes dans un bar miteux qui s'enfoutait bien que j'étais pas majeur et ma mère nettoyait les chiottes de ses richards de banlieue. Sur le chemin pour rentrer au squat, prises d'assaut sauf que moi, miracle, j'ai réussi à fuir. Ma mère non. Coup de trop assurément. Elle a pas survécu et eux, ils sont encore dans les airs à jouir d'une liberté qu'on devrait leur retirer. Les hommes, quelle horreur. Ca croit que ça peut t'user comme bon leur semble, t'es leur objet, leur jouet pour s'amuser. Y'a bien une chose que je me suis promise ce soir là : plus jamais un homme n'aura le pouvoir sur moi, plutôt crever et plusieurs fois même que d'être à la botte d'un mâle. Sexe fort, mon cul ouais ! « Mama, ils l'emporteront pas au paradis, parole de Dabrowski » Promesse faite. Et j'ai quitté le cimetière. « Dabrowski ! J'ai un job pour toi » « Si c'est montrer son cul, tu peux aller compter pâquerette ! » « Non. Ecoutes un peu avant de sortir les crocs. Vu que tu t'y connais en bagnole, tu pourrais rentrer dans le gang, on a besoin d'expert en bagnole, une cargaison de Cayenne sera livrée demain soir, tu crois que tu peux en piquer un ou deux ? » J'arque un sourcil « Tu crois causer à qui ? Aucune voiture n'a de secret pour moi ! M'insulte pas ! » « Ok, viens rencontrer le chef, ce soir ! J'viendrais te chercher » « Ok, Mok' » Et voici comment je suis entrée dans ce gang à tendance mafieuse. Dix-huit ans, tu parles d'un parcours professionnel exemplaire. Exit les comptoirs des bars et bonjour déformation professionnelle. Et de bouche à oreille, ma réputation et mes services ont commencé à se faire connaître, rapidement, j'ai pu sortir de mon trou à rat, quitter le squat et vivre une vie décente. Je continue d'avancer dans la vie, de monter le business, je capture des bagnoles, je leur fais leurs fêtes et ensuite je revend au plus offrant les pièces démontées. On m'a eu à la déloyale, à l'usure alors je vois pas pourquoi je devrais vivre une vie exemplaire et droite. Au fond, ça m'arrange bien, j'ai du pognon et un pied dans les affaires louches de la city. Les retrouver, j'attends que ça. Le goût du sang, ils verront bien un jour comment c'est, si justice n'est pas faite, je m'en occuperai personnellement. D'ici là, j'étouffe ma rancoeur dans l'gosier. Je l'étouffe à coup de rhum, de clope mal roulée, je claque des dents, je prend mon mal en patience, en silence. Y'a rien de plus dangereux que le calme surplombant une dose de rage sans limite. La vengeance, c'est bon, surtout froid. Froid comme mon âme. Froid comme la solitude dont on se passerait bien. Froid comme le mal qui a élu domicile dans ton crâne. Froid comme le noir. Et puis plus rien …